Le discours patrimonial qui accompagne l'action coloniale de la France au Cambodge se décline sur plusieurs registres. D'abord, une définition du patrimoine, en partie façonnée sur les rivalités historiques entre le Cambodge et le Siam, entraîne l'émergence et l'affirmation d'une identité nationale. Cette entreprise est notamment le fait de George Groslier (1887 - 1945), Directeur des Arts cambodgiens, dont le discours normatif dessine les contours d'un patrimoine khmer « traditionnel », vu à travers le prisme de l'œil occidental : un ensemble hétérogène de pratiques artistiques, héritier de traditions angkoriennes et mettant l'accent sur les vestiges archéologiques. Cette définition pose le cadre d'une législation patrimoniale dont « l'affaire Malraux » (1923) montre les difficiles modalités d'application. Les autorités coloniales développent autour du « patrimoine khmer » ainsi défini un discours destiné à légitimer la présence française en Indochine, et susciter l'adhésion de l'opinion métropolitaine. La définition des arts khmers donnée par Groslier et le discours de l'époque coloniale ont favorisé l'émergence d'une notion d'identité culturelle khmère. Elle a en outre durablement façonné le discours patrimonial au Cambodge, aussi bien dans les processus de mise en valeur du patrimoine (survalorisation d'Angkor au détriment des autres sites) que dans la définition même du patrimoine (survalorisation de l'archéologie au détriment des autres formes d'art).
The heritage discourse accompanying the colonial action of France in Cambodia had several aspects. First, a definition of heritage partly based on the historical rivalry of Cambodia and Siam led to the emergence and the affirmation of a national identity. George Groslier, Director of Cambodian Arts, was one of the main authors of this definition of heritage. His normative discourse shaped the contours of a 'traditional' Khmer heritage, viewed through the prism of Western eyes: a heterogeneous collection of artistic practices, inherited from the Angkorian tradition, and focused on archaeological remains. In the 1920s, this definition helped lay the grounds for heritage legislation, but the "Malraux affair" (1923) show ed how difficult it was to implement heritage laws. Drawing on this heritage definition, the colonial authorities develop ed a discourse aiming at legitimizing the French presence in Indochina, and at building up political support in the Métropole. Without doubts, George Groslier discourse, and the French colonial heritage narrative have favoured the emergence of a Khmer cultural identity. They have also durably shaped the definition of heritage, the formation of official heritage discourse s and heritage practices in contemporary Cambodia.