Dans cette intervention, je propose d'interroger ces deux concepts au regard des données de terrain de ma thèse de doctorat, qui porte sur les cultures professionnelles et l'identité collective des ouvriers métallurgistes de Bhopal. Le terrain a été comparatif : il porte d'une part sur des ouvriers urbains travaillant dans des ateliers de mécanique, de carrosserie et de fabrication de meubles disséminés dans la vieille ville de Bhopal. Ces derniers vivent dans des ensembles complexes et fragmentés de quartiers pauvres appelés « colonies » et de bidonvilles. Le second groupe d'ouvriers étudiés est à majorité hindoue, il s'agit en fait de ruraux, vivant dans l'arrière-pays mais travaillant dans des chantiers de viaducs autour de Bhopal comme ferrailleurs.
Je montrerai que ces deux populations ouvrières sont soumises à de nombreux aspects de ce que l'on pourrait appeler « précarité », dans et en dehors du travail, mais que ce concept ne doit pas ici être entendu comme un facteur d'exclusion sociale au sens de rupture des liens sociaux et communautaires. Au contraire, bien que partageant sous bien des angles des conditions de vie, d'existence et de travail comparable, ces personnes sont très fortement intégrés dans des dynamiques identitaires relevant du communautaire et enserrés dans des hiérarchies complexes mais extrêmement structurantes. Ce qui montre que la précarité indienne a une configuration sociale et une histoire qui lui sont propres. Ceci rend également problématique toute analyse supposant une identité basée sur la classe même si la conscience d'appartenir à un corps d'ouvriers, précaires ou non, existe. Ainsi, leur cultures professionnelles qui sont pourtant très fortes ne produisent ni d'identité collective, ni même de « culture ouvrière » à proprement parler, même s'il existe des cultures populaires et qu'il serait essentialiste de les réduire au seul fait communautaire. Je développerais donc l'hypothèse selon laquelle les cultures professionnelles de ces ouvriers ne structurent pas de manière décisive leurs environnements socio-culturels mais qu'elles doivent plutôt être réinterprétées au regard de cet environnement et vues comme des valeurs qui permettent, en plus de s'intégrer dans sa profession, de s'opposer aux représentations qu'ont les ouvriers de la culture dominante. Leur appropriation produit donc une efficacité symbolique au niveau de la manière dont ils se représentent dans la société indienne : cela leur permet de revendiquer leur utilité sociale.
In this communication, I will question these two concepts with the data from my PHD thesis which focuses on professionnal cultures and collective indentity amongst the metal workers of Bhopal. The fieldwork has been comparative : it focuses on urban laborers working in small workshops as well as on migrant laborers working in contruction sites.
I will show that these two workers populations are, in numerous aspects, into what we could call "precariousness" during and after work, but that this concept must not be understodd in terms of breaking up the social and communautarian bonds. In opposite, although they share comparable living and working conditions, these people are strongly integrated in communautarian identitary processes, and embedded in complex but very structuring hierarchies. Which is showing that Indian precariousness has got specific historical and social configurations. Therefore, using the concept of class identity is somehow problematic although the consciousness to be part of a group of laborers, precarious or not, exists. But their strong professionnal cultures are not producing a collective identity, nor even a "laborer's culture", although there are popular cultures that cannot be reduced to communautarian ones. I will sustain the hypotesis stating that if the professional cultures of these workers do not structurate their socio-economic environnement in a decisive manner, they have to be reinterpreted alongside this environnement and must be seen as values that provide intergration in one's profession as well as they allow them to oppose somehow the dominant culture.
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