Depuis le début de la crise politique thaïlandaise en 2005, la Cour Constitutionnelle thaïlandaise a renversé deux gouvernements (septembre et décembre 2008), dissous quatre partis politiques de la coalition au pouvoir, notamment par deux fois, le parti majoritaire (mai 2007 et décembre 2008); elle s'est également opposée à deux procédures de révision constitutionnelle (2012 et 2013); surtout, elle a par ses invalidations d'élections législatives (mai 2006, février 2014) joué un rôle instrumental dans le succès des deux derniers coups d'Etat militaires en Thaïlande (septembre 2006 et mai 2014). Cet article propose une étude de la Cour Constitutionnelle thaïlandaise s'appuyant sur le cadre théorique développé par Ran Hirschl, notamment en ce qui concerne la théorie de l'expansion du pouvoir judiciaire comme stratégie de préservation hégémonique. "La judiciarisation de la mégapolitique peut également être le fait de groupes sociopolitiques influents qui, anxieux de perdre leur pouvoir, cherchant les moyens de préserver leur hégémonie. Ces groupes et leurs représentants politiques sont plus enclins à déléguer les questions de construction nationale et d'identité collective au judiciaire lorsque leur vision du monde se trouve remise en cause dans les sphères de décision fondées sur le principe majoritaire" (Ran Hirschl, “The judicialization of mega-politics and the rise of political courts”, 2008) Cet article vise à examiner en détail les mécanismes par lesquels le pouvoir judiciaire et plus particulièrement la Cour Constitutionnelle, est devenu un acteur politique pivot dans la crise actuelle, formant une alliance avec les forces politiques traditionnelles de la société siamoise, à savoir la monarchie, l'armée et la bureaucratie.
Within the last eight years, the Thai Constitutional Court has unseated two governments (September and December 2008), dissolved four ruling political parties, including on two occasions, the same majority party (May 2007 and December 2008), prevented attempts at constitutional revision (2012, 2013), and, more importantly, paved the way for two coups d'etat (September 2006, May 2014) by cancelling general elections (May 2006, February 2014). The Thai case is a very accurate illustration of Ran Hirschl's theory of influential hegemonic preservation, according to which « The judicialization of mega politics may also be driven by hegemonic preservation attempts taken by influential sociopolitical groups fearful of losing their grip on power. Such groups and their political representatives are more likely to delegate to the judiciary formative nation-building and collective-identity questions when their worldviews and policies preferences are increasingly challenged in majoritarian decision-making arenas » (Ran Hirschl, “The judicialization of mega-politics and the rise of political courts”, 2008) The paper aims at investigating the mechanisms by which the judiciary and in particular the Constitutional Court has become a politicized element in Thailand and as well as a powerful actor in the country's crisis, associated with the trinity forces in society –namely, the bureaucracy, the monarchy and the army.
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