Cet ouvrage rédigé à quatre mains (P. Dollfus et G. Krauskopff) traite des vertus du rire dans l'aire culturelle himalayenne, au travers de performances masqués — mascarades, bouffonneries rituelles et profanes, pantomimes et théâtre populaire. Leur confrontation met au premier plan des motifs et des personnages récurrents: bouffons obscènes, vieux grivois ou vieilles enceintes, qui franchissent avec aisance les frontières linguistiques, ethniques ou religieuses. L'esprit de carnaval trouve un terreau particulièrement fertile dans les lieux de mixité et d'échange culturels, marchés ou villes, où les mascarades révèlent leur potentiel créatif en tant qu' "objets frontières". Ces performances masquées nous éclairent aussi sur l'usage des masques de facture « libre », en soulignant leur lien fondamental avec cet esprit de carnaval.
Les mascarades et les bouffoneries ont peu retenu l'attention des chercheurs travaillant sur l'Himalaya. Intégrées dans de nombreux exorcismes collectifs, ainsi que dans des rituels chamaniques ou des séances de possession, la gestuelle obscène des bouffonneries, fort éloignée de toute spéculation religieuse ou philosophique, explique peut-être qu'on les ait negligées. Pantomimes et pitreries, omniprésentes dans les fêtes calendaires comme dans les représentations théâtrales ou les danses monastiques, sont décrits comme de simples « intermèdes », ayant pour seule fonction de “divertir”, écartant le rapport que ces scènes entretiennent avec d'autres aspects du rituel et leur role tout aussi fondamental. ces performances révèlent un puissant élément de jeu, où le dynamisme des formes et la créativité jouent sur l'ambivalence, où le « bas du corps » médiatise l'alternance de la vie et de la mort, une ambivalence propre à l'esprit de carnaval.
Dans son ouvrage sur Rabelais M. Bakhtine regrettait que les spécialistes n'aient pas « considéré le peuple qui rit sur la place publique comme un objet digne d'une étude tant soit peu attentive et approfondie. ». C'est l'objectif de cet ouvrage s'attachant aux vertus du rire en Himalaya et aux formes qu'il prend : grotesque très terrestre où la gestuelle prime sur le verbe, comique de parole du théâtre faisant la part belle au grimage et au maquillage, saynètes parodiant la vie quotidienne, rituels d'exorcisme où gesticulent des bouffons obscènes méritent d'être étudiés pour eux-mêmes.