L'apparition du courant nipponiste, à la fin des années 1880, est en un sens bien connue. On y fait souvent allusion, généralement comme attestant l'émergence d'une conscience nationale moderne au Japon, parfois aussi comme un avant-courrier du nationalisme des années 1930-1945. Néanmoins, on s'appuie sur des travaux déjà anciens et qui n'en traitent que partiellement.
Ce livre retrace en détail l'histoire de la revue Nihonjin (« Japonais ») au cours de la décennie pendant laquelle celle-ci eut une audience importante (deuxième revue japonaise par le tirage au début des années 1890). Après une analyse sociologique du groupe fondateur et des circonstances entourant le lancement, nous avons étudié les textes où se déploie le concept de « génie national » (kokusui), auquel le nom de Nihonjin reste attaché, montrant qu'il y était moins question de définir une identité japonaise que de concevoir une relation dynamique entre nation politique et nation culturelle. Outre la diversité des réponses, on peut relever que la Maison impériale est rarement invoquée.
Cependant, nous avons insisté tout autant sur le fait, plus ignoré encore, que la revue Nihonjin fut d'abord une revue d'engagements, sociaux (par exemple en faveur des mineurs de Kyûshû) et surtout politiques. Les nipponistes furent constamment aux côtés des libéraux pour demander, contre l'oligarchie au pouvoir depuis 1868, que le gouvernement devienne responsable devant la Diète. Ce soutien actif à l'opposition ne les empêche pas de se montrer critiques envers les partis ou le régime censitaire. L'intérêt pour le socialisme, que Nihonjin contribua largement à faire connaître, est à resituer dans cette perspective, en lien avec une idée de la nation comme entité fondamentalement humaine.
Ce progressisme demeure toutefois inséparable d'un désir de faire de la nation le sujet d'un destin singulier. Nous avons, pour finir, souligné l'importance que l'asiatisme prend peu à peu dans le discours nipponiste, pionnier aussi à cet égard.
The appearance of Japanism, in the late 1880s, is in a sense well known, often being alluded to, generally as testifying for the emergence of a modern national consciousness in Japan, sometimes as a forerunner of the 1930s and 40s ultranationalism. Yet scholars rely on research works now decades-old and dealing in part only with Japanism.
This book traces in detail the history of the magazine Nihonjin (« Japanese ») during the about ten years through which it had a significant audience (second in circulation by the early 1890s). After analyzing the sociological background of the foundators and the circumstances surrounding the launching, we investigate the concept of « national genius » (kokusui), to which the name of Nihonjin remains attached, stressing that the purpose was less to define a Japanese essence or identity than to conceive a dynamic relationship between nation as a body of citizens and nation as a culture. Quite interesting is the diversity of the answers, but also the fact that the Imperial House was seldom mentioned.
However, as much attention is given to another aspect, which scholars are mostly unaware of. Nihonjin was in the first place a committed magazine, addressing social issues (for example working conditions in Kyushu mines) and above all politics. Japanists constantly stood with the liberals, against the oligarchy in power since 1868, to demand that the Cabinet become responsible before the Diet. This active support was not inconsistent with criticizing the parties or the census suffrage. The attract to socialism, which Japanists highly contributed to make konwn, should be understood in this perspective, in connection with an idea of nation as a fundamentally human entity.
Such progressive stances, though, are closely linked with a desire to make the nation the subject of a singular destiny. We finally emphasize the growing importance of Asianism in the Japanist discourse, pioneer in this respect too.
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