Cet ouvrage porte sur une vingtaine d'intellectuels chinois et sur leurs propositions de réforme politique. Ils interviennent dans la sphère publique pour dresser un bilan des « problèmes » urgents à résoudre afin de « sauver la Chine » et défendre certaines valeurs. Après avoir analysé le statut de ces chercheurs engagés et les contours de la liberté académique, cette enquête dresse le portrait intellectuel de deux générations d'un certain type d'intellectuels chinois, marqués par la Révolution culturelle et la sortie de la révolution. Si ces chercheurs se prennent au jeu technocratique, c'est très certainement parce qu'ils ont renoncé aux ruptures révolutionnaires, et adhérent plus ou moins au discours officiel sur le rôle primordial du Parti unique dans le développement et le maintien de la stabilité étant donné la « qualité » insuffisante de la population. À partir des années 1990, l'intelligentsia est traversée par la montée du nationalisme, et par une réflexion sur l'apport de la « tradition » dans la modernisation de la Chine. Ils se fragmentent autour du bilan de la politique de réforme et d'ouverture et de l'avenir du régime chinois. Leur conception de la démocratie à introduire en Chine peut être qualifiée de conditionnelle car, dit-on fréquemment, elle doit attendre son heure afin de s'assurer qu'elle sera une solution aux différentes crises (morale, sociale, rurale, nationale, procédurale etc.) et non un problème supplémentaire. Mais elle l'est également du fait de l'incertitude de la définition qui lui est donnée : celle-ci implique une prise de distance avec les définitions occidentales, ainsi opposées à une conception chinoise de la démocratie.
This study is based mainly on the study of the academic and media publications of these well-known politically-committed academics, as well as on qualitative interviews that I conducted between 2005 and 2010, with a focus on their trajectories. It investigates the historical, political, social and ideological context of the positions taken by some Chinese scholars in the discussions on the orientation that the reform of the Chinese regime should take. It first presents the context in which Chinese researchers are taking a stand. It defines the status of Chinese researchers and academics, the outlines of academic freedom and the relationship that engaged academics have with the authorities. Divided on the ideological front but united by their patriotism, certain academics step out of their domain of expertise and take a stand, in the hope of influencing the orientation of government policies. While the impact of their political interventions is often difficult to assess, the Party has opted for a strategy of promotion of its legitimacy, through greater attentiveness to society's needs and adaptation to its changes – even though the Party readily resorts to repression when this charm tactic does not suffice to silence the opposition. It ultimately needs researchers' expertise and is in many ways subject to their influence. This book also investigates the relationship between the intellectual and political elites; the changing relationship between the Chinese state and society; the progressively more complex perceptions of Western history, theory and experience by Chinese scholars; and the shift, from the 1990s on, to the indigenization (bentuhua) of thinking about reform. Finally, the book is devoted to the polemical definition of the “good regime” – that which best suits China. There is a broad consensus on the need for political change among politically-engaged Chinese academics; their general vision of democratization can be said to be conservative, gradual and elitist; and a major dividing line between so-called Liberals and New Left scholars is the distinction between formal and extended democracy and the reception of “electoral democracy”.
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